Parhélie
On raconte qu’il y a bien longtemps, à une époque où les romains dominaient le monde, on célébrait les Saturnales à chaque solstice d’hiver, en l’honneur du dieu du temps et surtout pour marquer cette période de bascule où les jours commencent à s’allonger. Il y amoins longtemps est apparue la tradition de la galette des rois avec sa fève et sa couronne de papier. On dit que ces deux fêtes seraient liées et que toutes ces histoires de folklore découleraient de l’observation des astres.
Parhélie explore les reliques propres à ce folklore et montre, par la réinterprétation de la fève et de la couronne, la fétichisation d’objets simples qui marquent un temps donné d’une histoire personnelle.
Ici s’articulent le particulier et l’innombrable, dans l’unique couronne, dans la multitude de fèves ondulantes et dans les quelques mains tendues au milieu d’un miroir.
L’installation évoque la tendance des hommes à individualiser le multiple pour mieux l’appréhender ou encore faire d’un élément pluriel, une singularité.
Il en va de même pour les constellations, compositions de l’esprit montrant notre faculté à nous approprier l’inconnu, en une sorte de repère. L’astrologie, quant à elle, découle largement des événements astronomiques et assigne à chaque individu le caractère
symbolique supposé des configurations célestes. Nous déterminons notre découpage du temps en fonction de la révolution de la terre, nous avons même catalogué dans les éphémérides, les événements astronomiques propres à chaque jour.
Il s’agit bien ici de construction de repères jalonnant nos environnements incertains, d’une manière d’apprivoiser l’inconnu et l’infini, en somme de se raconter des histoires pour s’endormir le soir.
Un parhélie est un phénomène optique atmosphérique où le soleil semble démultiplié. Par un jeu de réflexions de la lumière, on peut parfois observer plusieurs répliques du soleil alignées horizontalement dans le ciel.
Audrey Devaud

D’os et de porcelaine
« C’est en ce sens que devenir tout le monde, faire du monde un devenir, c’est faire monde, c’est faire un monde, des mondes, c’est-à-dire trouver ses voisinages et ses zones d’indiscernabilité. »
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux.
Dessins, lithographie, gravure laser, volumes de bois précieux ou ordinaires, figures d’ossements et de terres, la pratique d’Audrey
Devaud fait surgir un monde à partir d’un autre, une dimension dans une autre.
Du dessin à la sculpture, elle tisse patiemment son œuvre avec la joie sans cesse renouvelée de l’expérimentation. De ces premières amours pour le livre, l’artiste conserve un goût pour la main, terme technique qui désigne en reliure, la manière dont le livre en tant qu’objet habite la main et donc par extension sa sensorialité et l’harmonie entre les matériaux qui le compose. C’est aussi par le jeu de la main, son adresse, son habileté qu’Audrey Devaud crée des œuvres en se confrontant à la matière par l’acquisition de multiples savoir-faire. Il y a une connaissance par la main, il y a de la technique, de la technicité dans cette œuvre qui embrasse et relève des défis plastiques, dans une quête assumée de beauté, de minutie et de préciosité, toujours suspendue entre épure et ornement.
Son œuvre est un passage, entre deux mondes, visibles et invisibles, ici et ailleurs, où l’autrefois est une source et demain une fiction. Son univers est marqué de présences artisanales, folkloriques et populaires, ce sont les œufs de Fabergé, la clarté de la porcelaine ancienne chinoise ou limougeaude, les carreaux de faïence, la science-fiction littéraire et cinématographique, de niche ou connue de tous, et tout ce qui compose aussi l’histoire familiale, les petites affaires, les petits objets dont on ne se sépare guère et qui encombrent bureaux et étagères, des marrons, des bricoles porteuses de petites et grandes histoires, de protections secrètes.
Aussi, le morceau de bois domestique, une fois poli, facetté, marqueté, devient un grigri qui tient la main et garde la poche, en talisman d’un nouveau monde qui s’étend de la psyché humaine avec ses faces torturées, composées, recomposées, au cosmos dont les images scientifiques peuvent s’agrandir jusqu’à devenir aveugles et insensées, matières pures aux anfractuosités multiples.
Sous couvert d’une élégance aux lignes claires, toujours tendues entre abstraction et figuration, le regard de l’artiste touche à l’intime, au récit de soi et cette dimension narrative s’éprouve dans le souci de la scénographie. Audrey Devaud sculpte pour nos murs, pour ce qu’on affiche chez soi, ce dont on fait trophée, ce dont on est fier et qui nous fait du bien parce qu’il nous relie avec l’ailleurs.
Florence Andoka

Je te retrouverais même dans le noir
« Il n’y a pas d’autre mort que l’absence d’amour », René Barjavel
Même dans le noir, je te retrouverais. Ta peau, ta saveur, tes contours, tout est en mémoire quelque part. L’amour en ritournelle, avec ses phases et ses souvenirs, l’amour comme une boule à neige, un œuf de Fabergé, quelque chose que l’on vit tous, et qui compte, et qui pourtant échappe, sans cesse se déplace, se renouvelle et repousse.
Dans cette série de petites sculptures qui en forment une grande, jouant d’une évolution et d’un mouvement de lecture de gauche à droite, du plus petit au plus grand, quelque chose là se poursuit, une affaire de germination, de gestation même, un œuf en révolution, contenant les potentiels réunis de deux êtres et même plus, un millier de possibles qui se déroulent sur dix stations, avec la matière cellulaire composite qui s’agrège et se métamorphose et l’amour que cela suppose, l’enfant en fruit d’entrailles mêlées, en extension palpable des sentiments vécus, et la vie qui s’engouffre, avance, dépasse l’existant de présences nouvelles.
Sans fausse pudeur conceptuelle, Audrey Devaud revendique la dimension sentimentale et joyeuse de sa vision créatrice, par-delà l’abstraction des formes et le minimalisme harmonieux des couleurs. Tandis que l’intime préside ici à la naissance de l’œuvre, ce sont le bois et le verre qui s’assemblent en cette cellule nouvelle, où le verre jalonné d’aspérités et de petites bulles d’air comme les veines du bois disent tant la peau du corps aimé que celle du corps en cours, autant de matériaux nobles et doux qui nécessitent patience et minutie pour être transformés. Chaque sculpture abrite un petit paysage intérieur, unique et remanié sans cesse dans une évolution où certains éléments grandissent et d’autres disparaissent. Dans cette topographie de la tendresse, se répand le sable carborundum gris, métallique et abrasif rappelant d’autres pratiques d’Audrey Devaud et notamment la gravure, mais aussi de petites formes blanches en porcelaine partiellement émaillées dont on distingue par endroit les empreintes d’un corps aimé et précieusement conservé dans la cellule en progression. Chaque sculpture au sein de cette série en mouvement est un instantané à la forme ondoyante, fragile et dépourvue de socle dont la préciosité interdirait d’y déposer la main, comme on se garderait, d’un regard extérieur et furtif, de juger ce qui se joue entre deux êtres. L’œuf a ceci d’intime et le verre ceci de déformant que l’on ne distingue que mal ce qui se trame à l’intérieur, le geste d’Audrey Devaud nous rappelant peut-être à la possibilité pour une heure, un jour ou une éternité, de se lier à autrui pour s’inventer une île.
Florence Andoka

Descendre au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau, disait Baudelaire.
Audrey Devaud, elle, se tourne vers le cosmos, vers le grand vide sidéral qui continue à nous fasciner, en oubliant si possible qu’il est parcouru par des milliers de satellites et d’objets de toute sorte qui gravitent en orbite, comme dans une autoroute de l’espace. L’art est fait pour inquiéter, la science pour rassurer. En ce moment, nous doutons parfois de ce que la science peut faire pour alléger cette pesanteur dont parle Audrey Devaud dans sa présentation. Elle choisit des images inédites, bizarres, d’une grande force d’expression par le dessin aux crayons de couleur. Un art simple, sobre, mais qui fait mouche. On est séduit par la beauté étrange de ces formes nouvelles.
Marcel Schiess – Forum transfrontalier

PLUTON, ELYSIUM ET MARS
A l’instar de son installation de 2017 dans l’exposition Ellipse de l’église Notre-Dame à Besançon, où la frontière se situe entre la surface plane du tapis et les objets 3D s’y référant au-dessus, Audrey Devaud propose ici trois images : Pluton, Elysium et Mars – des transcriptions d’images extraterrestres rapportées par les satellites de la Nasa – qui posent la question de la limite entre trace, « inscription » ou autre forme et son entourage, son « fond ». Nouvelle réflexion sur la vieille question artistique du rapport – de la frontière – entre figure et fond.
Walter Tschopp – Forum transfrontalier

Audrey Devaud vit et travaille à Besançon après des études à l’ESAL (Épinal) et à la HEAR (Strasbourg).
Elle a fondé avec Caroline Pageaud et Gwilherm Courbet l’Atelier/Galerie Les2portes à Besançon où elle poursuit ses recherches personnelles protéiformes et pluridisciplinaires.
J’ai chez moi un perroquet en papier mâché très coloré et monté sur une petite balancelle en laiton. Les couleurs sont criardes et il a bien souffert aux cours des années, sa présence à mes côtés ne peut être datée, néanmoins je ne peux m’en séparer.
Il y a comme ça des choses qui nous possèdent sans que l’on sache trop pourquoi. Elles ont une portée symbolique, une partie de notre histoire qu’on ne sait pas raconter et qui les rend indispensables.
C’est cette relation de fétichiste qu’Audrey Devaud cherche à induire dans ses travaux.
Elle a besoin que ses pièces possèdent une histoire personnelle qui rend leur appropriation possible, par l’artiste d’abord, puisqu’il s’agit d’une démarche égo-centrée, puis par d’autres puisqu’il faut bien se défaire des choses pour les partager.
Audrey Devaud en appelle donc dans la plupart de ses recherches à la notion de sensible, que ce soit dans le propos, dans les matériaux, la manipulation ou la perception.
Maison contemporain

Un éclat de ce texte lumineux où les illusions et la réalité s’affrontent, la fièvre embrase le corps et arase l’esprit. Pour l’accompagner, dix lithographies d’Audrey Devaud qui expriment les tensions primordiales qui taraudent la jeunesse de l’humain et la jeunesse de l’humanité. On est dans le combat et l’ajustement de forces primitives et vitales, dans un acharnement silencieux qui se délie en allant vers la lumière.
Josianne Bataillard pour Février – Édition Du goudron et des plumes